Je ne suis pas le plus aguerri des vétérans, et je m’en rend compte encore assez souvent pour savoir que j’ai encore des sempaïs dans plus d’un domaine (pas que technique) dont certains avec qui j’ai la chance de travailler, même si ce n’est pas tout le temps au jour le jour.
Au fil de mes années de travail, en Banque, en SSII, et dans d’autres sociétés, il n’y a qu’une seule constante que je peux vraiment distinguer : dans chacune de ces situations, quelqu’un attendait quelque chose de moi.
Vous allez me dire qu’il n’y a rien d’inhabituel à ça, quand on embauche quelqu’un c’est rarement (quoique…) pour la flagrance de son inutilité. Mais ce n’est pas là que je veux en venir, vous allez voir rapidement :
- En banque, on s’attendait à ce que je maintienne une application pour la salle des marchés mais pas à ce que je propose des innovations ou que je prenne le temps de comprendre mieux le métier;
- En SSII (dans une autre banque), on s’attendait à ce que je maintienne une application de finance de marché mais encore une fois aucune innovation possible là dedans et plus grave, jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas toujours pas à quoi ressemblait l’ombre de mes utilisateurs…;
- En tant qu’ingénieur R&D, on me proposait d’innover, mais dans la direction qu’il fallait (définie par en haut et inconnue à se jour… car changeant tout les mois) sans nous laisser le temps de réfléchir, d’apprendre mieux le métier, le tout dans une urgence latente et permanente.
Vous avez peut-être déjà compris où je veux en venir. Quand quelqu’un attendait quelque chose de moi, il n’attendait qu’une seule chose de moi, que je reste à ma place et que je fasse ce qu’impose mon rôle et seulement ça.
Si on y réfléchit, ce précepte permet de construire un monde très simple avec ça, j’appellerais ça la modularisation de l’entreprise, chacun a un rôle et un seul, reste dans son rôle et alors le plus important dans l’entreprise devient que les royaumes de contrôle des différents rôles de chacun ne se touche pas. C’est le principe de l’ouvrier spécialisé ramené à des travaux intellectuels.
Mais le plus grave, c’est que dans le monde d’aujourd’hui, nous avons integré ce que nos parents disait plus violemment vers 68, il n’y a plus de place dans la société Française pour les jeunes. Les entreprises ont créés des rôles bien segmentés où l’on a le droit de se complaire mais, en tant que jeune, notre seul solution actuelle pour s’épanouir/évoluer devient de changer de boite avec le travers bien connu :
Ca n’a pas toujours été ainsi. Du temps de mon grand père, on se faisait porter par l’entreprise dans laquelle on rentrait, elle lui a fait confiance, l’a challengé, l’a aider à s’améliorer et à se construire pour enfin lui permettre de monter dans celle-ci. Moins loin, du temps de nos parents, baby-boom oblige, beaucoup de niveaux hiérarchiques ont été créés, pas tellement par nécessité (d’efficacité), mais plus par modularisation de l’entreprise et surtout pour éviter les conflits (la génération de nos parents reste quand même celle qui, sans avoir fait la guerre, a traité ses propres parents de Nazis…). C’est un peu le début de ce qu’on appellerait aujourd’hui « les petits chefs ».
Seulement ce monde est dangereux, il détruit la créativité des jeunes, laisse l’innovation à une élite sans compétences (le fameux mythe du « Si quelqu’un peut changer les choses c’est bien lui/elle (enfin souvent lui quand même…) »), et nous complait progressivement dans le rôle que les Etats-Unis nous ont donné depuis plusieurs années, celui de la « Old Europe » ou de l’Europe Musée qui ne vit que sur ses acquis.
Ce que j’aime dans la création d’une NoSSII comme LateralThoughts c’est d’oeuvrer chaque jour à sortir de ce schéma destructeur, de remettre entre les mains de tous la possibilité d’innover, de dégager du temps pour réfléchir, pour s’améliorer et de porter les projets de tous. On dit souvent qu’une bonne idée n’a pas de parti, mais bien trop souvent elle a un niveau hiérarchique…
Et vous, vous avez une bonne idée ?
Vale
Une analyse bien triste mais hélas exacte.
Le plus pénible est que ce cloisonnement nuit à tout le monde.
En ne pouvant pas s’intéresser au contexte fonctionnel, on passe à côté des utilisateurs, alors que c’est précisément pour eux que nous travaillons.
En ne permettant pas l’innovation sur un projet, on diminue l’adhésion à ce projet. Difficile alors d’imaginer une équipe stable lorsqu’aucune idée ne peut être proposée, qu’elle soit fonctionnelle ou technique.
Enfin, en ne permettant pas de sortir de ce rôle, on limite les compétences des développeurs, voire on appauvri leurs capacités de réflexion. Or pour pouvoir maintenir une application, il faut pouvoir en comprendre le fonctionnement, repérer les erreurs de conception et les corriger. La réflexion est donc un point central dans le métier.
Merci pour cet article !
ça me rappelle l’inscription sur le tableau de mon mur. » FTGEFL »
Ferme ta gueule et fait le !! l’incantation magique qui met fin toute discussion constructive.
Tellement vrai.
Cette peur de l’innovation est aussi une peur de l’échec.
La génération de nos parents la subit de plein fouet d’autant plus qu’ils vivent la crise comme une nouveauté, comme un accident de la société. Elle leur fait peur et ils ne veulent plus rien changer et surtout pas se tromper.
Les jeunes par contre sont entrés sur le marché du travail pendant cette crise, ils sont habitués à l’idée que notre mode de vie va baisser en qualité et cherchent des idées pour optimiser chaque situation quitte à se tromper.
Un autre symptôme est que les « vieux » français regardent leur président comme s’il pouvait quelque chose à la crise alors que le changement ne pourra venir que d’eux. C’est leur travail et leurs idées qui pourront changer la société pas quelqu’un payé justement pour qu’elle continue dans sa lancée.